Crispien a parlé des hauts salaires. En Allemagne, voyez-vous, les circonstances sont telles que, comparativement aux ouvriers russes et, en général, aux ouvriers de l'Europe orientale, les ouvriers vivent assez bien. D'après lui, on ne pourrait faire la révolution que dans le cas où elle n'aggraverait « pas trop » la situation des ouvriers. Je pose la question : est-il admissible de tenir un tel langage dans un parti communiste ? C'est un langage contre-révolutionnaire. Le niveau de vie en Russie est incontestablement inférieur à celui de l'Allemagne, et quand nous eûmes institué la dictature, les ouvriers souffrirent davantage de la faim et leur niveau de vie tomba encore plus bas. La victoire des ouvriers est impossible sans sacrifices, sans une aggravation momentanée de leur situation. Nous devons dire aux ouvriers le contraire de ce qu'a dit Crispien. Quand, pour préparer les ouvriers à la dictature, on leur parle d'une aggravation « pas trop » grande de leur situation, on oublie l'essentiel, à savoir que l'aristocratie ouvrière s'est précisément constituée en aidant « sa » bourgeoisie à conquérir et à opprimer le monde entier par des moyens impérialistes, afin de s'assurer ainsi de meilleurs salaires. Si les ouvriers allemands veulent faire aujourd'hui œuvre de révolutionnaires, ils doivent consentir des sacrifices et ne point s'en effrayer. . . .
Dans un petit nombre de pays plus riches où, grâce au pillage impérialiste, on vit plus à l'aise, il serait contre-révolutionnaire de dire aux ouvriers qu'ils ont à redouter un « trop grand » appauvrissement. C'est le contraire. Il faut dire. L'aristocratie ouvrière qui a peur des sacrifices, qui redoute un « trop grand » appauvrissement pendant la période de lutte révolutionnaire, ne peut appartenir au parti. Autrement, la dictature est impossible, surtout dans les pays d'Europe occidentale.
Lénine, 30 juillet 1920, " "Discours sur les conditions d’admission à l’Internationale Communiste"